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jeudi 30 janvier 2014

Challenge Boris Vian #6: L'Arrache-Coeur.



Bonjour à tous et à toutes!

J'espère que vous allez bien, chers lecteurs et lectrices, et que vous êtes prêts pour un nouvel article! Avant de conclure notre mois à thème spécial Japon Vendredi avec une dernière chronique manga, je vous propose aujourd'hui de reprendre l'un des rendez-vous du blog, à savoir le Challenge Boris Vian. Depuis plusieurs mois, je me suis lancée dans la mission de vous présenter, grâce à l'Oeil Qui Fume, dix livres de la plume de cet énergumène de la littérature, à l'univers bien particulier. Dans cet article, nous allons aborder l'Arrache-Coeur, un livre qui a une importance toute spéciale pour moi, et que je pensais d'abord présenter en dernier. Mais la tentation est trop forte et j'ai décidé de vous le présenter dès aujourd'hui! Je vous souhaite à tous une bonne lecture de cet article!

Si vous êtes curieux:
Habituellement, je commence mes articles par une petite présentation de l'auteur présenté, mais étant donné que nous sommes dans le cadre d'un Challenge, je préfère vous rediriger vers les autres articles du Challenge: vous pourrez découvrir d'autres de ses livres comme Vercoquin et le plancton, J'irai cracher sur vos tombes...

Boris, par ici!


Quelques infos sur l'Arrache-Coeur:
Entrons dans le vif du sujet avec quelques informations sur le livre en lui-même. Son titre bien particulier est souvent confondu avec celui d'un autre grand classique de la littérature, à savoir L'Attrape-Coeur de J.D Salinger (The Catcher In The Rye en VO), confusion augmentée par leur date de parution: 1951 pour Salinger, et 1953 pour Boris Vian. Mais là s'arrêtent les ressemblances entre les deux ouvrages!

Revenons-en à Boris Vian: ce livre est assez particulier dans sa bibliographie, puisqu'il s'agit du tout dernier roman qu'il a écrit sous son nom de plume. Il avait pour projet initial de lui donner une suite et même d'en faire une trilogie, probablement baptisée Les Fillettes de la Reine, mais Boris Vian ne put jamais faire aboutir son idée, pour deux raisons: la première, c'est une situation financière difficile accompagnée par une baisse du succès de l'auteur (l'Arrache-Coeur est considéré comme un échec commercial, ce qui explique probablement le fait qu'il soit moins connu du public actuel que d'autres romans de Vian); et la seconde, c'est la mort de l'auteur en 1959. Néanmoins, même sans sa suite, l'Arrache-Coeur peut parfaitement se lire seul, comme un "one-shot" (selon l'expression littéraire hype du moment).


L'Arrache-Coeur:
Résumé:
Isolée dans une chambre, Clémentine est en proie à des douleurs infernales, celles de l'accouchement. Elle refuse l'aide de son mari, Angel, qu'elle tient séquestré depuis plusieurs mois. C'est alors qu'arrive Jacquemort, un psy un peu étrange, qui vient en aide à la jeune-femme en faisant venir au monde ses trois garçons, Joël, Noël et Citroën.
Le livre suit donc le parcours de Clémentine, découvrant peu à peu la maternité, et devenant une mère paranoïaque, terrifiée à l'idée que ses enfants puissent être blessés par le monde extérieur; mais surtout nous suivons Jacquemort, psy vide dont le but ultime serait de réaliser la psychanalyse complète d'un individu. Il va donc découvrir un étrange village où l'on vend des vieux sur un marché comme des bêtes, où la religion a un sens bien particulier, et surtout où la honte n'existe (presque) pas...

Les grandes thématiques et leurs personnifications:
L'Arrache-Coeur, comme vous avez pu vous en rendre compte avec le résumé, est très différent dans ses thématiques et personnages des autres livres que j'ai présenté auparavant sur le blog. Le roman aborde beaucoup de thèmes, et je vous propose de nous pencher sur certains d'entre eux.

Commençons par le vide, notion représentée par le personnage de Jacquemort. Il se présente de lui-même comme une personne vide, sans fonds, qu'il faut remplir. Curieux choix de "héros", n'est-ce pas? Habituellement, nous sommes, en tant que lecteurs, en présence de héros avec une personnalité, des caractéristiques particulières qui contribuent à notre attachement à lui. Alors que là, Jacquemort se caractérise par son vide, son manque et sa quête de sens. On sait cependant quelques informations le concernant, par exemple le fait qu'il est psychiatre: mais cette information renforce surtout sa quête de "remplissage" qui ne peut se faire qu'à travers une psychanalyse complète d'une autre personne. On le suit donc dans sa quête, allant de personnage en personnage dans l'espoir de trouver un sujet potentiel pour son projet. Le choix d'un personnage vide est intéressant, étant donné qu'on voit tout à travers ses yeux.

Mais le gros thème du roman, c'est évidemment la honte. Jacquemort dans sa quête découvre les habitudes très étranges du village: le meilleur exemple, c'est la foire aux vieux, durant laquelle des vieux sont exposés comme des bêtes, on leur fait montrer les dents pour en juger la santé, on les palpe, et le public repart, sans se sentir le moins du monde honteux, avec un petit vieux ou une petite vieille. Cette première expérience entraîne notre héros à la rencontre de la Gloïre, personnage capital du roman. Si vous souhaitez lire ce livre, je vous conseille de sauter au paragraphe concernant mon avis histoire de ne pas vous faire spoiler. On entre en zone spoilers.

La Gloïre, donc, est un personnage très important: vivant dans une barque sur un cours d'eau, il a pour but de récupérer de façon assez particulière (que je ne vais pas vous spoiler par contre) ce qui représente la honte des habitants, jeté dans l'eau. Il représente la honte dans le roman, permettant aux autres de ne pas la ressentir...

Mon avis sur ce livre:
Vous avez pu le lire plus haut, l'Arrache-Coeur est un livre très particulier pour moi, pour ne pas dire important. Pourquoi? Parce qu'il s'agit du tout premier roman de Boris Vian que j'ai lu, et je m'en souviens comme si c'était hier. J'ai découvert Boris Vian au collège, grâce à ma mère et à sa chanson (à Boris Vian, pas à ma mère) le Déserteur que j'ai étudiée pour un cours (probablement d'Histoire, ou peut-être de musique). Devant mon intérêt pour l'auteur, ma mère m'a donc prêté l'Arrache-Coeur, que je me suis empressée de dévorer.



Sur l'adolescente d'une quinzaine d'années que j'étais alors, le livre a eu l'effet d'une bombe: jamais de ma vie, je n'avais lu un livre pareil. Le style était très, très différent de ce que j'avais pu lire jusqu'alors (de la fantasy, de la SF, principalement, et des classiques de Victor Hugo ou Molière), mais ce dont je me souviens avec certitude, c'est le sentiment de dégout mêlé d'admiration que j'ai ressenti pendant ma lecture. Parce qu'il faut le dire, certains passages sont quand même très durs dans ce qu'ils décrivent: la foire aux vieux en est un exemple frappant. Alors, on pourrait mettre cette impression sur le compte de mon jeune âge et de ma méconnaissance d'alors en ce qui concerne Boris Vian: mais même presque sept ans après ma première lecture (outch, déjà), je ressens toujours les mêmes émotions en tournant les pages de l'Arrache-Coeur. Il m'arrive souvent que les relectures perdent un peu la saveur et la fraîcheur ressenties lors de la découverte de l'oeuvre, mais avec l'Arrache-Coeur, je n'ai encore jamais eu de "baisse", même légère, de mes sentiments. Je pense que cela montre à quel point, en tout cas sur mon expérience en tant que lectrice, ce roman a un pouvoir puissant.

Mais cela ne répond pas à la grande question que vous vous posez sûrement: l'Arrache-Coeur, j'aime ou pas? Et bien, chers lecteurs, ce roman, je l'adore. Je l'adore parce qu'il contient tout ce que j'aime chez Boris Vian, et encore plus. Tout d'abord, son style, très travaillé mais également très agréable à lire, bourré de jeux de mots et de tournures qui font plaisir à l'oeil. Ensuite, son côté "absurde" et improbable: on ne sait jamais trop à quoi s'attendre avec un roman de Boris Vian, et c'est également le cas ici. Entre le psychiatre qui se décrit comme un contenant vide qui doit être rempli par la psychanalyse, les enfants qui volent en avalant des insectes, l'absence de réel repères chronologiques et la découverte d'un univers complètement différent de celui que nous connaissons, nous allons de surprise en surprise! Mais je trouve que ce roman va encore plus loin, notamment dans son traitement des thématiques: je pense en particulier à celui de la honte, que j'ai développé plus haut, mais aussi de la relation mère-enfants, par exemple. Jusqu'à présent, je vous ai surtout présenté des romans écrits sous le nom de Vernon Sullivan, et qui eux aussi traitaient de thématiques assez dures, comme le racisme ou l'identité: mais le traitement de ces thématiques passait par le sexe et la violence physique, les personnages étant amenés à se battre de façon plutôt hardcore ou même à tuer. Ici, le traitement de la honte passe par la personnification de celle-ci en un personnage, la Gloïre, ou dans une violence qui est plutôt morale (la vente d'êtres humains) que directement physique, ce que je trouve, personnellement, plus efficace.

A mes yeux, l'Arrache-coeur est donc le meilleur roman de Boris Vian, bien loin devant l'Ecume des Jours, son livre le plus connu. Je ne me lasse pas de le lire et de le relire, année après année. Quant à savoir si je le conseille, oui, mais... Ce livre contient beaucoup de passages violents et dérangeants: si vous êtes quelqu'un de plutôt sensible ou de jeune, il risque de vous déplaire, voire de vous dégouter. Attention, donc :)

Et voilà, c'est tout pour aujourd'hui! J'espère que l'article vous a plu, on se retrouve dès demain pour le dernier article du mois qui sera consacré, une nouvelle fois, à un manga! En attendant, n'hésitez pas à me laisser vos commentaires et avis, je suis toujours ravie de vous lire! Prenez soin de vous,

AnGee Ersatz*

7 commentaires:

  1. Quel bel article! Ton enthousiasme transparaît bien au détour de chacune de tes phrases, c'est très plaisant. J'ai passé un beau moment de lecture, merci! Et comme d'habitude, j'ai appris plein de choses...

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  2. Celui-ci m'attend patiemment dans ma PAL mais ne va peut-être pas tarder à en sortir vu que je participe également au challenge de L'oeil qui fume

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  3. j'ai eu le même ressenti que toi, sentiment de dégout (la foire au vieux) mêlé d'admiration (pour le style de l'auteur les trois enfants)
    Heureusement que je ne l'ai pas lu à 15 ans (mais 20 ans après)
    Mon préféré de Vian est "l'automne à Pékin"

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    1. Aha effectivement! Oh, je m'apprête à le lire pour l'article du mois :D

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